RE-DESIGNER LA FILIÈRE DU BATIMENT AUTOUR DE L’UTILISATEUR FINAL, par Alain Schmoll
Les pratiques n’évoluant pas malgré leurs insuffisances, il importe pour les professionnels de re-designer leurs modes de faire, afin d’optimiser les projets et de redonner du sens à leurs métiers.C’est ce que démontre Alain Schmoll, Président d’ELIEZ et d’ELECTRO 16, dans cette tribune en trois volets :
1. L’obsolescence programmée de la filière traditionnelle du bâtiment
2. Des pratiques qui n’évoluent pas malgré leurs insuffisances
3. Des professionnels qui doivent re-designer leurs modes de faire
***********
1. L’OBSOLESCENCE PROGRAMMEE DE LA FILIÈRE TRADITIONNELLE DU BÂTIMENT
Les modes de vie actuels sont incroyablement changeants et le rythme de ces changements s’accélère. Ces changements ne manquent pas de percuter des filières professionnelles structurées, voire rigides, comme le Bâtiment – construction, rénovation ou aménagement –, dans lesquelles les professionnels se laissent enfermer benoîtement sans oser réagir.
Cette soumission un peu résignée à des modes de fonctionnement verticaux orientés du haut vers le bas, réduit le champ de vision de chaque intervenant à l’intervenant qui le précède immédiatement dans la filière, au lieu de le focaliser sur les attentes du client final. Chacun se voit ainsi imposer successivement un cahier des charges banalisé auquel il répond à son tour par des solutions banalisées, sans apport de valeur le différenciant de ses concurrents.
Pour la demande finale – les futurs utilisateurs, qui sont, qu’on le veuille ou non, les véritables commanditaires de la filière –, le processus conduit à l’insatisfaction et à la déception, en termes de budgets, en termes de délai, ainsi qu’en termes de performances globales des projets.
Pour les professionnels de la filière, au-delà d’une baisse de leur activité, cela contribue à l’érosion de leurs marges, et donc à leur fragilisation financière.
Aujourd’hui, les futurs utilisateurs de bâtiments parlent usage des lieux, bien-être, responsabilité sociétale, harmonie visuelle, confort acoustique et climatique, coûts d’exploitation, intégration de technologies, etc. Des préoccupations de base incontournables dans toutes les catégories de bâtiments : l’habitation, l’environnement de travail, le service collectif.
D’aucuns évoquent une filière en crise. D’autres rappelleront que les crises prennent fin lorsque l’on s’adapte aux mutations en cours.
Pour les professionnels, il est temps de s’affranchir de la pensée traditionnelle définissant leur positionnement. C’est désormais directement sur les utilisateurs finaux des ouvrages auxquels ils prétendent participer, qu’ils doivent porter leurs yeux.
2. DES PRATIQUES QUI N’EVOLUENT PAS MALGRÉ LEURS INSUFFISANCES
La prise en compte des exigences des futurs utilisateurs, en direct et en transparence, par tous les professionnels de la filière du Bâtiment, rendra obsolètes les méthodes de travail traditionnelles en ligne verticale du haut vers le bas.
Ces méthodes traditionnelles ont certes leurs vertus. Fondées sur une multitude de documents écrits et graphiques établis en amont et dits contractuels, elles permettent de délivrer à chacun une feuille de route générale pour avancer dans une direction claire et cohérente.
Mais au fur et à mesure de son avancement, la perception globale du projet par chacun finit par se perdre dans une communication atomisée et à sens unique. Quant à l’ordonnancement prévisionnel des tâches, il s’avère au fil du temps d’autant plus illusoire qu’il se voulait précis et exhaustif.
Conséquence : il arrive un moment où la réalité s’écarte des prévisions les plus fines. Aspects ou performances des prestations ne sont pas au rendez-vous. Modifications et budgets entrent en collision. Retards et décalages s’accumulent…
Que faire alors ? L’organisation hiérarchique de la filière conduit presque systématiquement à la contestation de l’évidence, à la défausse de responsabilité et à la conflictualité.
Parmi les différentes pratiques observées :
· La dénégation des problèmes et des obstacles, en espérant probablement qu’ils trouveront tous seuls leurs solutions…
· La solidarité entre ceux qui ont mal anticipé les choses en amont, manière de se déresponsabiliser sur ceux qui interviendront plus tard…
· Dans tous les cas, cela conduit à pratiquer le « y a qu’a ». Il y a une difficulté ? Y a qu’à faire quand même !… Y a qu’à trouver une solution !… Y a qu’à intervenir ailleurs !… Y a qu’à mettre plus de monde !… Et à procéder par la menace ou la coercition : On ne paiera pas !… On le fera faire par un autre !… On mettra des pénalités !…
Il est pourtant facile de comprendre que la loi du plus fort n’est plus de mise. Plus l’on cherche à se préserver en attaquant l’autre, plus ce dernier est contraint de contre-attaquer plutôt que de chercher des solutions constructives.
Qu’est ce qui manque le plus, le courage ou la lucidité ?
3. DES PROFESSIONNELS QUI DOIVENT RE-DESIGNER LEURS MODES DE FAIRE
Dans des volumes, des espaces et des temps contraignants qu’il faut bien accepter, de nouvelles méthodes de travail s’imposent, collaboratives. Dès le début du process, elles doivent intégrer, dans une boucle interactive, l’écoute des attentes des futurs utilisateurs et les propositions itératives de chaque intervenant.
Ce mode d’approche, susceptible d’apporter à chacun d’importants bénéfices économiques, qualitatifs et sociétaux, implique un travail de co-conception sollicitant alternativement l’amont et l’aval, dans le cadre d’objectifs concrets et transparents exprimés par le client final, c’est-à-dire les futurs utilisateurs.
Est-ce un sujet de développement technique ? Aucunement. Nous maîtrisons tous les technologies et les outils numériques nécessaires. C’est de notre état d’esprit que tout dépend : nous considérer tous les uns les autres, quelle que soit notre place actuelle dans la filière, comme des partenaires au service d’un même objectif, satisfaire l’utilisateur final, notre client commun.
De nouveaux processus de conception et de réalisation apparaissent et ne manqueront pas de se développer dans les années à venir, dans des configurations variables, en fonction des professionnels que le client final choisira de réunir autour de lui.
Il n’y a pas, en effet de configuration idéale, comme il n’y en a d’ailleurs jamais eu dans le passé pour les modes de dévolution des marchés de bâtiment. Depuis des décennies, les uns vantent le principe de l’entreprise générale intervenant tous corps d’état, d’autres préfèrent les travaux effectués en corps d’état séparés. Les deux systèmes n’ont jamais cessé de coexister, un système intermédiaire étant venu s’ajouter depuis quelques années : l’allotissement des marchés en lots groupés ou macrolots.
Le même type de débat existe autour des marchés en conception-réalisation, voire en conception-réalisation-maintenance-financement. Le fond du sujet n’est pas tant la forme juridique du contrat que le professionnalisme et l’état d’esprit de chacun.
Ce pourrait être au client – c’est-à-dire à l’utilisateur final – de choisir.